jeudi 30 juillet 2009

Rencontre avec un lémurien

Fabrice Tarrin est un jeune auteur de bande-dessinées. Violine, son premier album en co-scénarisation avec Tronchet paraît en 2000, suivi d’un one shot pour la série Spirou, Le Tombeau des Champignac, sorti chez Dupuis en 2007. C’est à travers son blog qu’il affirme son nouveau style, une autobiographie drôlissime qu’il décide de publier en 2008 sous le titre du Journal Intime d’un Lémurien. Aujourd’hui, il fait partie des auteurs de la « nouvelle vague de la bande-dessinées française» publiés dans la collection Shampooing de Lewis Trondheim et collabore en parallèle avec Spirou Magazine.


As-tu voulu avec les aventures de ton lémurien t’affirmer comme auteur de BD à part entière avec son propre style, sans avoir à marcher sur les plates-bandes des auteurs classiques comme Franquin ?

Fabrice Tarrin : C’était pour moi la première occasion de faire une bande-dessinée, scénario, dessins, couleurs tout seul. Ça m’a permis un peu de m’affranchir du style franco-belge traditionnel.


Le Journal intime d’un Lémurien est une œuvre autobiographique et, à ce titre, tu livres au public des anecdotes sur ton entourage, tes parents, tes amis proches, tes petites amies. Pourquoi avoir choisi une forme autobiographique ? Tu n’as jamais connu de réticences à le faire ?

F.T. : Au début, j’ai surtout voulu orienter l’histoire sur Cyril le Canard parce que c’était l’occasion de raconter des choses tout en faisant en sorte que ça reste secret. Par la suite, Cyril s’en est aperçu et ça lui a plu. Ça a été un peu pareil pour les gens de mon entourage, je le faisais souvent avec leur accord, ça amusait mes amis et les personnes qui étaient citées. C’était toujours un peu limite, mais ça finissait toujours par passer et par plaire. Mais, de temps en temps, c’est vrai qu’on me disait « quand même c’est un peu osé ! ». Mais c’est aussi le principe du lémurien qui est un personnage un peu provocateur et borderline.


L’usage de personnages zoomorphes te permet-il justement de mettre une distance avec la réalité et l’adoucir ?

F.T. : Oui, ça permet de mettre de la distance et paradoxalement, d’être plus précis dans le caractère des personnages. J’arrivais bien à figer les expressions et les visages des gens en les caricaturant en animaux, alors qu’en humains je n’aurais pas réussi, j’aurais fait des choses trop compliquées. Là, les personnages animaliers me permettent de synthétiser. Je prends l’exemple de Renaud : je trouvais qu’il était ressemblant au renard et, du coup, ça fait une caricature simple et originale.


Dans le Journal Intime et sa suite, tu es souvent entouré de stars, est-ce que cela signifie que tu as toujours aspiré à en devenir une toi-même ?


F.T. : Quand j’étais petit, oui, je pense que j’avais ce côté un peu fasciné.

C’est ce milieu que je raconte dans l’aventure de Maki, où ce sont de jeunes acteurs qui commencent déjà à avoir la grosse tête et qui se font des soirées plutôt "adultes" en se bourrant la gueule alors qu’ils n’ont que 13-14 ans. Charlotte Gainsbourg me fascinait, je m’en étais amouraché, c’est un fantasme de préadolescent. Par contre, avec Lolita j’ai vu l’envers du décor. J’avais plein d’anecdotes très personnelles sur son père, Renaud. Ça m’a permis de voir ce qui se passait de l’autre côté du miroir, de casser le mythe… Yann, avec qui je travaille pour Spirou, est fan absolu de Franquin : il m’a toujours avoué, qu’après avoir travaillé des années avec lui, il aurait préféré ne jamais le rencontrer.


Que penses-tu du phénomène Blog-BD comme une ouverture de la bande-dessinée à un plus large public ?

F.T. : Oui, ça brasse un public large. Au même titre que le public manga est différent du public bande dessinée, le public blog-BD est aussi différent. Les lecteurs de mon blog en majorité ne sont pas lecteurs de Spirou. En dédicace, c’est flagrant, j’arrive à les reconnaître visuellement, je sais si on va me demander un Spirou ou un Lémurien. Ce qu’il y a de motivant dans ce phénomène, c’est de voir les réactions des gens. Il y a une interaction forte et, sans cette interaction, je pense que ça sera très difficile de faire la suite du lémurien.


Est-ce que tu te considères comme un des précurseurs de ce phénomène, comment tu te situes par rapport aux autres ?

F.T. : Je suis arrivé après. Les deux numéros un c’est Boulet et Laurel, dans un registre différent. Celle qui est maintenant devant Laurel c’est Jolicoeur, arrivée un petit peu après moi, son blog-BD a rencontré un succès énorme.


Aujourd’hui, tu ne peux que publier quelques extraits de la suite du lémurien : ta maison d’édition te fait-elle suivre une stratégie commerciale pensant que la prépublication sur blog est un frein à la vente de ton prochain ouvrage ?

F.T. : Au début, je sentais qu’ils n’aimaient pas trop, mais je le faisais quand-même. On a toujours cette idée que si c’est pré-publié dans un blog, pourquoi l’acheter ? Mais ce n’est pas toujours vrai. La preuve : le blog de Pénélope Jolicoeur. Son livre était essentiellement fait de choses qui avaient été pré publiées sur son blog et il s’est super bien vendu.


A combien d’exemplaires s’est vendu le Journal intime d’un lémurien ?

F.T. : A peu près à 4000 exemplaires. En comparaison, mon Spirou s’est vendu à 60 000 exemplaires. Pour une BD 4000 c’est bien, mais si on prend Pénélope, elle en a vendu 30 000 et Boulet 15 000.


Est-ce que tu consentirais à faire du Lémurien un produit marketing ?

F.T. : Pas pour l’instant. Le Journal du Lémurien dans la collection Shampoing, c’est assez confidentiel. Quant à Spirou Magazine, c’est quand même les éditions Dupuis, donc derrière ils vont faire une grosse mise en place, il y aura de la publicité, etc. C’est vrai que le Lémurien a plus de chance d’être connu, popularisé grâce à Dupuis. Le journal de Spirou est lu par 200-300 000 personnes, ça lui donne donc une visibilité plus grande que sur mon blog. Et plus ciblée : les gens qui viennent sur mon blog ne sont pas forcément acheteurs de bande-dessinées.


Dans un article publié dans le magazine Bodoï, tu dis : « Mon quotidien est maintenant plus banal, il faudrait peut-être que j’invente des histoires… » Est-ce pour cela que le tome 2 du Lémurien est un retour à l’enfance ?

F.T. : Le déménagement faisait parti des événements que j’avais envie de raconter parce que c’était une accumulation de plein de choses. C’est rare de trouver des situations drôles qui s’enchaînent à ce point-là dans la réalité. Ensuite, il y a eu l’arrivée de Cyril le schizophrène, puis la rencontre avec la fille de Renaud. Ce sont des évènements qui sortent de l’ordinaire. Par contre, après j’étais en rupture de stock, je ne voulais pas faire les Petits riens de Trondheim, je ne me voyais pas raconter des choses plus convenues ou moins surprenantes. Il ne me restait plus qu’à remonter dans le passé et puiser dans mes souvenirs d’enfance, où j’estimais qu’il y avait des choses un peu atypiques à raconter.


Est-ce que ta notoriété a changé depuis que tu t’affiches sur ton blog ?

F.T. : Les gens ont commencé à me connaître grâce au blog, j’étais l’héritier du système Laurel, ça m’a intrigué puis j’ai joué le jeu. Ma notoriété n’a pas changé non plus beaucoup. C’est surtout une reconnaissance visuelle, on peut parfois me reconnaître dans la rue, ce qui n’arrive pas même aux grands dessinateurs comme Lewis Trondheim. Peu de gens connaissent son vrai visage.


Un troisième tome est-il prévu pour le Lémurien ?

F.T. : Je n’en suis qu’à un tiers du tome 2. Je ne sais pas si j’aurais assez de matière pour un troisième tome, à moins qu’il ne m’arrive des choses dans le futur. Une autre alternative possible : susciter l’évènement pour pouvoir le raconter. Comme par exemple Guy Delisle quand il fait des voyages à l’étranger, en Corée du Nord. Là, il revient avec des livres et il a des tas de choses à raconter.


La publication de ton journal d’enfance, c’est prévu pour quand ? Comment vas-tu l’intituler ?

F.T. : Dans un an. Je ne sais pas encore mais dans le même style que le Journal intime d’un lémurien.


Te connaissant passionné par les montages d’impostures avec ton ami Fred Neidhart qui fait quelques intrusions dans des émissions télévisées, as-tu d’autres projets parallèles à la BD ?


F.T. : On avait quelques projets, qui ne se sont pas mis en place parce que dans le milieu de la télévision il y a beaucoup de retournements de situation. Pour l’instant ça s’est un peu calmé. Fred s'installe à Montpellier, on prévoit de monter quelque chose ensemble ; toujours dans le but de se faire plaisir.


Et dans la BD, Un autre tome de Spirou peut-être, de nouvelles collaborations ?

F.T. : Non pas pour l’instant car je dois faire deux pages couleurs par semaine, ce qui est au-dessus de mon rythme habituel.


Propos recueillis par Sarah PONCHIN

Novembre 2008.

Gran Torino de Clint Eastwood

Walt Kowalski est un vieillard aigri, vétéran de la guerre de Corée, qui vit reclus et solitaire dans une banlieue de Detroit. Clint Eastwood, acteur et réalisateur, interprète avec naturel et simplicité le quotidien d’un vieillard taciturne et raciste qui s’exprime à coups de grognement de pitbull lorsqu’on vient le déranger dans sa demeure, que ce soit par sa famille ou ses nouveaux voisins « faces de citron » qu’il ne peut supporter. Car Walt ne supporte plus personne, mise à part sa chienne Daisy, sa superbe Ford Gran Torino et son gazon bichonnés. Abandonné par l’histoire et ses amis défunts, il s’accroche à sa décoration de guerre, qu’il garde enfouie dans la cave et lui rend symboliquement honneur. Le contraste avec le voisinage est d’emblée affiché : à l’entrée de sa porte trône le drapeau américain tandis qu’à côté piaille toute une famille de voisins hmongs émigrés, qu’il méprise.

Le personnage semble emprunt d’une nostalgie inguérissable, en référence à ces hommes blancs et virils aux valeurs traditionalistes de l’Amérique colonialiste, désorientés par une société moralisatrice ouverte aux différences. Walt vient de l’industrie automobile locale et peste sur tout ce qui vient de l’étranger, particulièrement la voiture de son fils. Il jure sur tout ce qui n’est pas blanc, à coups de "négros", "chinetoque" ou "rital", et regarde d’un mauvais œil ces jeunes d’aujourd’hui qui exhibent leurs piercings et perdent tout sens des valeurs. Mais il ne faut jamais se fier aux apparences, tel est le credo du film. Walt n’est pas qu’un vieil acariâtre de 78 ans, obsédé par sa carrière militaire de meurtrier qui découpait à coup de machettes les enfants coréens. Malgré lui, il se lie d’amitié avec la jeune Sue et son frère Thao, jeunes hmongs de la communauté voisine. Car derrière toute cette rigidité, il y a la solitude d’un homme meurtri par le passé. Il fait alors face à ses préjugés raciaux. Et lorsque surgit une bande de voyous hmong, le cowboy justicier qui sommeille en Walt prend du poil de la bête. Il a beau ne pas être politiquement correct, sortir une arme pour effrayer les autres, il retrouve en parallèle un peu d’humanité. L’ange gardien prend possession du personnage autrefois aigri et éteint, qui ne reconnaît pas de Dieu. Impénétrable, il ne l’est plus tant que ça. Même le jeune prêtre qui tentait en vain de l’amener à se confesser et qu’il prenait un malin plaisir à qualifier de « puceau de 27 ans », réussit à briser la glace. Walt devient malgré lui le héros d’une communauté d’immigrants : la voie vers la rédemption. En quelque sorte, un soulagement pour Walt.

Le cowboy métaphysicien, comme on l’appelait dans ses westerns, s’ouvre à de nouvelles émotions : le partage et la tolérance de l’autre (lors de sa première intrusion dans l’univers de ses voisins hmongs au cours d’un banquet copieux), il en devient même maladroit et touchant lorsqu’il ne sait pas comment se placer au milieu de ses jeunes Hmongs et qu’il se met dans un coin, s’essayant une pause de jeunot sur un frigo, qui se met à basculer... et qu’il se met aussitôt à réparer ! Walt se surprend à laisser libre cours à ses émotions, il retrouve son humanité perdue avec cette famille hmong, avant même de manifester du souci à nouveau pour sa propre famille (lorsqu’à la fin du film il se décide à appeler son fils, juste pour savoir s’il va bien).

En deuxième partie de film, lors de la transformation, on retrouve alors un peu tous les personnages de Clint Eastwood réunis en Walt Kowalski, dont Harry, le cow-boy des temps modernes qui n’a pour religion que son Magnum 44 et qui se veut le pourfendeur d’une criminalité de plus en plus présente. L’humour aussi a la part belle dans le personnage de Walt, un humour grossier et raciste qui en devient touchant. Oscillant entre force d’esprit et fragilité physique, il est toujours stoïque, même à l’approche de la mort. Le film évolue en espace clos, les jours défilent à la manière d’une pièce de théâtre, et progressivement, car il ne se passe quasiment rien au début. Mais cet attentisme provoqué à tort n’est que la juste interprétation d’une histoire simple et authentique sur l’humanité. Non, à la fin le justicier ne sortira pas sa kalachnikov, mais se laissera mourir face au gang. La mort côtoie l'héroïsme, qui a toujours ses moments de faiblesse, thème récurrent du réalisateur.

Doit-on voir dans ce récit cinématographique une forme d’autobiographie de l’acteur et réalisateur Clint Eastwood ? Sans doute, car les faiblesses d’un homme d’âge mûr semblent si bien coller à la peau de Clint, comme lorsqu’il se lève essoufflé par l’effort et gravit avec peine les marches de la maison ou lorsqu’il tape du poing et savoure une cigarette. Peut-être y trouvera-t-on aussi une réponse aux reproches adressées à ses rôles de fascistes insensibles, en nous livrant en fin de carrière un film profondément humain. Il n’est jamais trop tard pour changer et donner un sens à sa vie. On se laissera bercer par la Musique jazz du générique de fin, avec la chanson "Gran Torino" interprétée en partie par Clint Eastwood lui-même, un dernier clin d’œil ?

Le Fait du prince : un Nothomb millesimé

Fidèle au rendez-vous de la rentrée littéraire depuis 1992, Amélie Nothomb propose cette année son 17e roman, Le Fait du prince. L’auteur à la production pléthorique a été photographiée et mise en scène sur la couverture par le couple d’artistes Pierre et Gilles dans un décor étrange : vêtue de noir, la tête couverte d’un chapeau à larges bords, agenouillée religieusement. Cette scène étonnante n’a qu’un rapport distant avec le roman, mais l’œil hagard du futur lecteur perdu dans la masse des nouveautés de la rentrée est immanquablement attiré par le livre. Mission accomplie pour l’éditeur qui confère à l’œuvre une belle accroche visuelle.

Retour au texte. L’auteur d’Hygiène de l’assassin offre une mise en bouche alléchante comme un roman d’Agatha Christie : « Si un invité meurt inopinément chez vous, ne prévenez surtout pas la police. » Voici l’étrange conseil donné à Baptiste Bordave, homme médiocre et sans épaisseur, par un convive lors d’un dîner. Le lendemain un riche Scandinave du nom d’Olaf Sildur sonne à sa porte et s’effondre sous ses yeux, victime d’une crise cardiaque. Influencé par sa conversation de la veille, Bordave décide de revêtir l’identité de cet inconnu et de changer de vie. Devenu Olaf Sildur sans état d’âme, il pénètre dans la villa du macchabée et s’y installe confortablement, encouragé par l’attitude accueillante de la charmante épouse du défunt.

Amélie Nothomb explore le fantasme universel de l’usurpation d’identité en le traitant par l’absurde et crée une atmosphère irrationnelle qui n'est pas sans évoquer Kafka : elle plonge son protagoniste dans un monde en huis clos, futile et menaçant. Le lecteur, lui, est suspendu au destin de cet imposteur dès les premières lignes : Bordave est-il victime du hasard ou d’un complot ? Comme dans Journal d'hirondelle, Amélie Nothomb renoue avec la sphère de l’espionnage et confirme sa maîtrise du suspense. Le protagoniste s’interroge : « Existe-t-il vacances plus profondes que de prendre congé de soi-même ? ». On assiste au fil du récit à une montée en puissance de la loufoquerie où les orgies de champagne succèdent à des siestes interminables. Amélie Nothomb livre sa vision de l’utopie où la liberté et l’imprévisible sont les maîtres mots. Le roman se lit vite, au point d'arriver abruptement à une conclusion de facture très classique et peu surprenante. La crédibilité de l'histoire, pourtant, importe peu : l’intérêt du récit réside dans son univers fascinant où l’étrange se mêle à l’inimaginable ; un conte de fée pour adulte en somme.

> Interview en vidéo d’Amélie Nothomb Télé Toulouse (durée 1:39)

mercredi 29 juillet 2009

Journal intime d'un lémurien

Tout simplement hilarant ! Retrouvez les histoires de Fabrice, le petit lémurien aux yeux rouges, Cyril, le canard noir schyzophrène, et Fred, son pote radin. Fabrice Tarrin, jeune dessinateur, retrace les anecdotes de sa vie à travers cette bande dessinée captivante. A la lecture d'une page, on ne s'arrête plus, et bonjour les fous rires seuls dans son lit !


Fabrice Tarrin est né à Neuilly-sur-Seine en région parisienne, le 30 novembre 1971. Il fait ses débuts chez Spirou Magazine, son premier album parait chez Soleil Productions en duo avec son ami Fred Neidhardt: Les Aventures de Monsieur Tue-Tout. En 2000, en duo avec Tronchet, il raconte l’histoire de Violine, une petite fille capable de lire les pensées de ses interlocuteurs dans leurs yeux. C'est sur son Tarrin blog que commence l'aventure du lémurien, qui connaît un franc succès (17 000 visiteurs quotidiens), et lui permet alors de publier les aventures chez Delcourt, dans la collection Shampooing, de son ami Lewis Trondheim.