Fabrice Tarrin est un jeune auteur de bande-dessinées. Violine, son premier album en co-scénarisation avec Tronchet paraît en 2000, suivi d’un one shot pour la série Spirou, Le Tombeau des Champignac, sorti chez Dupuis en 2007. C’est à travers son blog qu’il affirme son nouveau style, une autobiographie drôlissime qu’il décide de publier en 2008 sous le titre du Journal Intime d’un Lémurien. Aujourd’hui, il fait partie des auteurs de la « nouvelle vague de la bande-dessinées française» publiés dans la collection Shampooing de Lewis Trondheim et collabore en parallèle avec Spirou Magazine.
As-tu voulu avec les aventures de ton lémurien t’affirmer comme auteur de BD à part entière avec son propre style, sans avoir à marcher sur les plates-bandes des auteurs classiques comme Franquin ?
Fabrice Tarrin : C’était pour moi la première occasion de faire une bande-dessinée, scénario, dessins, couleurs tout seul. Ça m’a permis un peu de m’affranchir du style franco-belge traditionnel.
Le Journal intime d’un Lémurien est une œuvre autobiographique et, à ce titre, tu livres au public des anecdotes sur ton entourage, tes parents, tes amis proches, tes petites amies. Pourquoi avoir choisi une forme autobiographique ? Tu n’as jamais connu de réticences à le faire ?
F.T. : Au début, j’ai surtout voulu orienter l’histoire sur Cyril le Canard parce que c’était l’occasion de raconter des choses tout en faisant en sorte que ça reste secret. Par la suite, Cyril s’en est aperçu et ça lui a plu. Ça a été un peu pareil pour les gens de mon entourage, je le faisais souvent avec leur accord, ça amusait mes amis et les personnes qui étaient citées. C’était toujours un peu limite, mais ça finissait toujours par passer et par plaire. Mais, de temps en temps, c’est vrai qu’on me disait « quand même c’est un peu osé ! ». Mais c’est aussi le principe du lémurien qui est un personnage un peu provocateur et borderline.
L’usage de personnages zoomorphes te permet-il justement de mettre une distance avec la réalité et l’adoucir ?
F.T. : Oui, ça permet de mettre de la distance et paradoxalement, d’être plus précis dans le caractère des personnages. J’arrivais bien à figer les expressions et les visages des gens en les caricaturant en animaux, alors qu’en humains je n’aurais pas réussi, j’aurais fait des choses trop compliquées. Là, les personnages animaliers me permettent de synthétiser. Je prends l’exemple de Renaud : je trouvais qu’il était ressemblant au renard et, du coup, ça fait une caricature simple et originale.
Dans le Journal Intime et sa suite, tu es souvent entouré de stars, est-ce que cela signifie que tu as toujours aspiré à en devenir une toi-même ?
F.T. : Quand j’étais petit, oui, je pense que j’avais ce côté un peu fasciné.
C’est ce milieu que je raconte dans l’aventure de Maki, où ce sont de jeunes acteurs qui commencent déjà à avoir la grosse tête et qui se font des soirées plutôt "adultes" en se bourrant la gueule alors qu’ils n’ont que 13-14 ans. Charlotte Gainsbourg me fascinait, je m’en étais amouraché, c’est un fantasme de préadolescent. Par contre, avec Lolita j’ai vu l’envers du décor. J’avais plein d’anecdotes très personnelles sur son père, Renaud. Ça m’a permis de voir ce qui se passait de l’autre côté du miroir, de casser le mythe… Yann, avec qui je travaille pour Spirou, est fan absolu de Franquin : il m’a toujours avoué, qu’après avoir travaillé des années avec lui, il aurait préféré ne jamais le rencontrer.
Que penses-tu du phénomène Blog-BD comme une ouverture de la bande-dessinée à un plus large public ?
F.T. : Oui, ça brasse un public large. Au même titre que le public manga est différent du public bande dessinée, le public blog-BD est aussi différent. Les lecteurs de mon blog en majorité ne sont pas lecteurs de Spirou. En dédicace, c’est flagrant, j’arrive à les reconnaître visuellement, je sais si on va me demander un Spirou ou un Lémurien. Ce qu’il y a de motivant dans ce phénomène, c’est de voir les réactions des gens. Il y a une interaction forte et, sans cette interaction, je pense que ça sera très difficile de faire la suite du lémurien.
Est-ce que tu te considères comme un des précurseurs de ce phénomène, comment tu te situes par rapport aux autres ?
F.T. : Je suis arrivé après. Les deux numéros un c’est Boulet et Laurel, dans un registre différent. Celle qui est maintenant devant Laurel c’est Jolicoeur, arrivée un petit peu après moi, son blog-BD a rencontré un succès énorme.
Aujourd’hui, tu ne peux que publier quelques extraits de la suite du lémurien : ta maison d’édition te fait-elle suivre une stratégie commerciale pensant que la prépublication sur blog est un frein à la vente de ton prochain ouvrage ?
F.T. : Au début, je sentais qu’ils n’aimaient pas trop, mais je le faisais quand-même. On a toujours cette idée que si c’est pré-publié dans un blog, pourquoi l’acheter ? Mais ce n’est pas toujours vrai. La preuve : le blog de Pénélope Jolicoeur. Son livre était essentiellement fait de choses qui avaient été pré publiées sur son blog et il s’est super bien vendu.
A combien d’exemplaires s’est vendu le Journal intime d’un lémurien ?
F.T. : A peu près à 4000 exemplaires. En comparaison, mon Spirou s’est vendu à 60 000 exemplaires. Pour une BD 4000 c’est bien, mais si on prend Pénélope, elle en a vendu 30 000 et Boulet 15 000.
Est-ce que tu consentirais à faire du Lémurien un produit marketing ?
F.T. : Pas pour l’instant. Le Journal du Lémurien dans la collection Shampoing, c’est assez confidentiel. Quant à Spirou Magazine, c’est quand même les éditions Dupuis, donc derrière ils vont faire une grosse mise en place, il y aura de la publicité, etc. C’est vrai que le Lémurien a plus de chance d’être connu, popularisé grâce à Dupuis. Le journal de Spirou est lu par 200-300 000 personnes, ça lui donne donc une visibilité plus grande que sur mon blog. Et plus ciblée : les gens qui viennent sur mon blog ne sont pas forcément acheteurs de bande-dessinées.
Dans un article publié dans le magazine Bodoï, tu dis : « Mon quotidien est maintenant plus banal, il faudrait peut-être que j’invente des histoires… » Est-ce pour cela que le tome 2 du Lémurien est un retour à l’enfance ?
F.T. : Le déménagement faisait parti des événements que j’avais envie de raconter parce que c’était une accumulation de plein de choses. C’est rare de trouver des situations drôles qui s’enchaînent à ce point-là dans la réalité. Ensuite, il y a eu l’arrivée de Cyril le schizophrène, puis la rencontre avec la fille de Renaud. Ce sont des évènements qui sortent de l’ordinaire. Par contre, après j’étais en rupture de stock, je ne voulais pas faire les Petits riens de Trondheim, je ne me voyais pas raconter des choses plus convenues ou moins surprenantes. Il ne me restait plus qu’à remonter dans le passé et puiser dans mes souvenirs d’enfance, où j’estimais qu’il y avait des choses un peu atypiques à raconter.
Est-ce que ta notoriété a changé depuis que tu t’affiches sur ton blog ?
F.T. : Les gens ont commencé à me connaître grâce au blog, j’étais l’héritier du système Laurel, ça m’a intrigué puis j’ai joué le jeu. Ma notoriété n’a pas changé non plus beaucoup. C’est surtout une reconnaissance visuelle, on peut parfois me reconnaître dans la rue, ce qui n’arrive pas même aux grands dessinateurs comme Lewis Trondheim. Peu de gens connaissent son vrai visage.
Un troisième tome est-il prévu pour le Lémurien ?
F.T. : Je n’en suis qu’à un tiers du tome 2. Je ne sais pas si j’aurais assez de matière pour un troisième tome, à moins qu’il ne m’arrive des choses dans le futur. Une autre alternative possible : susciter l’évènement pour pouvoir le raconter. Comme par exemple Guy Delisle quand il fait des voyages à l’étranger, en Corée du Nord. Là, il revient avec des livres et il a des tas de choses à raconter.
La publication de ton journal d’enfance, c’est prévu pour quand ? Comment vas-tu l’intituler ?
F.T. : Dans un an. Je ne sais pas encore mais dans le même style que le Journal intime d’un lémurien.
Te connaissant passionné par les montages d’impostures avec ton ami Fred Neidhart qui fait quelques intrusions dans des émissions télévisées, as-tu d’autres projets parallèles à la BD ?
F.T. : On avait quelques projets, qui ne se sont pas mis en place parce que dans le milieu de la télévision il y a beaucoup de retournements de situation. Pour l’instant ça s’est un peu calmé. Fred s'installe à Montpellier, on prévoit de monter quelque chose ensemble ; toujours dans le but de se faire plaisir.
Et dans la BD, Un autre tome de Spirou peut-être, de nouvelles collaborations ?
F.T. : Non pas pour l’instant car je dois faire deux pages couleurs par semaine, ce qui est au-dessus de mon rythme habituel.
Propos recueillis par Sarah PONCHIN
Novembre 2008.